lundi 2 janvier 2012

La pampa


Le bus. La route à perte de vue. Le ciel tourmenté. Immensité, vertige. Le silence assourdissant du désert. Invitation à la méditation.
Le bus pénètre dans la cour d’un ranch rustique, devant une haie de gauchos moustachus, du poil plein les bras, leur lasso tournoyant au dessus de leur tête. Ma tante Sylvette m'avait prévenu: "Ah tu verras, tu verras : la pampa, c'est pas du nougat". Ces trois jours en pension complète au Rancho Loco allaient finir de me convaincre.

Le monde du gaucho est un univers très fermé (borné diront certains). Pour être admis dans cette famille qui chique et qui crache, il ne suffit pas d'être tatoué. Le gaucho est comme ce pays, fier et rugueux, debout contre le vent, visage buriné, muscles burinés, burnes burinées. Les qualités physiques et la dextérité sont au centre de son échelle de valeur. Ni strass ni paillette, ni plumes. "They are not string" me disait Chiquito le chauffeur de bus. En effet, les gauchos ne sont pas ficelles. Ici, si tu cognes tu gagnes. Devant mon désir ardent de faire partie de leur confrérie, ils m’ont soumis à une sorte de parcours initiatique.

Pour commencer, j'ai dû maitriser à mains nues et non sans mal un toro loco, un taureau fou, et je peux vous dire que ce rancho en compte un certain nombro. Puis c’est un troupeau de vacas locas, des vaches folles, que j’ai dû attraper au gran laso, et que j’ai dû matarlas con el fuego (euthanasier au lance flamme).

J'allai me reposer un peu au saloon quand Gomez, Sanchez et Ramirez me sont tombés dessus et m’ont attaché pour me marquer la fesse au fer rouge. Je n’ai pas sourcillé. J’ai simplement émis une protestation concernant les initiales RL (Rancho loco) qui ne correspondaient pas du tout à mon nom (Matthieu Fayette), ni à celui de ma ville de naissance (Cergy-Pontoise).

Bref pas besoin d'avoir fait Centrale pour se faire respecter de cette population franche et rugueuse. Après quelques bagarres à coup de tessons de bouteilles, ces fiers gaillards m'acceptaient enfin comme un des leurs en m'offrant un mauvais café dans une tasse en laiton un autour d'un méchant feu de camp. Ils m’ont apporté un objet étrange qu’ils nomment Bolas. « Es para tigo », me dirent-ils, c’est pour toi. Il s’agit de trois boules de cuir assez frustes reliées par une pauvre lanière tressée. Ne sachant pas de quoi il s'agissait, je les acceptai comme un cadeau de bienvenue, et les mis tout de suite autour de mon cou. Ils ont ri.
 Jamais je n'oublierai les sourires étoilés de trous noirs et les visages simples et obtus de ces hommes austères. Une belle soirée sous la lune. Je me souviens des blagues ; deux ou trois excellentes boutades que je tenais de mon ami Julien me revinrent à l’esprit pour le plus grand plaisir de mon auditoire subjugué. Aux bourrades affectueuses que je reçu dans le dos je compris que j'étais des leurs. Mais je compris aussi qu'il était temps pour moi de me retirer sur la pointe des pieds. Leur vie n'est pas la mienne et ma vie n'appartient qu'à moi. Je pris mes claquettes à mon cou et m'enfonçai discrétos dans la Pampa.

P.S. : J’ai pris du retard dans la rédaction de mes aventures (je suis actuellement à Ushuaïa) et je vous claque une affectueuse bise de bonne année !
P.S. 2 : C’est très bizarre : maintenant que je suis en Argentine, je ne vois plus aucun lama.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire