vendredi 13 janvier 2012

Beauté

Après trois jours passés au chalet, je fis mon baluchon, et dis au revoir à mes amis. Il m'offrirent un magnifique salami. "C'est pour la route" me dirent-ils, la larme à l'oeil. Et je repartis sur la piste rouge, vers le sud.

Je parcourais cette plaine sans fin avec ma saucisse. J’allais où me conduisaient mes claquettes. Hésitant devant un buisson, je m’arrêtais à une pierre, et saluant un lézard, je repartais sur un vol d’oiseaux. La pampa est un tissu d’éléments aux motifs infinis. La liberté est sa trame.
Ayant perdu toute notion d’espace, follement libre, je tombai nez à nez avec une parcelle de forêt équatoriale. Élément incongru dans ces domaines arides, elle devait être le vestige d’une autre ère. Une masse dense, sombre et humide, d’un vert monolithique, vénéneuse, attirante comme le péché.
Ô premiers jours du monde, c’est ici que vous me fûtes connus. Avant que l’Homme fut Homme. Emotions primitives et premiers regards vers le ciel...
Je m’enfonçai dans le vert profond, entrelacs de lianes, une heure me sembla-t-il. Et puis les oiseaux se turent. Au dessus de moi, la canopée s’entrouvrait laissant place à une clairière baignée de lumière. Est-ce un autel ? Au milieu, je le vis. Majestueux. Arbre parmi les Arbres. Egal des Dieux. Arbre de Beauté.
Les gauchos m’avaient prévenu. Ce n’était donc pas un mythe. Une impulsion irrépressible et soudain, envouté, fou, je grimpe dans ses branches, je me frotte à son écorce, j’étreins ses fruits. Il est tout, il rayonne. Je suis en lui. Pour toujours.
Je ne sais combien a duré cette extase. Une minute? Une journée ? Quand je repris connaissance, la lune était apparue dans le ciel. Il était là, serein, immobile dans la lumière diaphane, étendant ses bras puissants au dessus de moi.
Je regardai autour, les branches, le sol, mes vêtements. Il y en avait partout. J’étais couvert de Jojoba
Je tremblais encore un peu. Cette cataracte d’émotions intérieure s’était maintenant muée en un fleuve paisible et puissant. Je me sentais maintenant différent et multiple. J’étais le jaguar. J’étais la fourmi et j’étais la grenouille. J’étais la fleur et puis l’épine. J’étais le rocher. J’étais l’étoile.
Je pris congé de l’Arbre endormi, ayant noté au revers d’une de ses feuilles mon numéro de téléphone.

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